SOS World, nouvel acteur de la collecte promotionné par l'agence DSC
Urgence 'Famines': campagne du Consortium 12-12, et d'autres associations
Le présent article a été publié initialement le 19 avril 2017, suite à la campagne de prospection de l'asbl SOS World.
Monsieur Thomas Schirrmacher, fondateur de cette association, nous a apporté le 28 avril dernier - soit quatre mois après nos demandes répétées d'information - divers éléments de réponse qui ont été intégrées dans la version remaniée de cet article.
4 mai 2017 – L’imminence de situations de famine qui menacent plusieurs pays d’Afrique ont conduit les plateformes nationales d’ONG de plusieurs pays européens à organiser une campagne nationale de sensibilisation de collecte de fonds.
La campagne belge du Consortium 12-12 pour les Appels d'Urgence est intitulée 'FAMINE 12-12'.
-> Lire 'Famine 12-12 et autres campagnes nationales d’appel à la générosité'
Des campagnes nationales similaires ont été lancées dans divers pays d'Europe, et ailleurs dans le monde, aux alentours du 14 mars dernier.
Toutes n'ont guère engrangé des résultats spectaculaires en termes de mobilisation de dons.
La campagne belge du Consortium 12-12 a collecté à ce jour huit millions d'euros.
D'autres appels à la générosité ont été diffusés en Belgique à l'initiative de plusieurs ONG que les donateurs belges connaissent et apprécient depuis bien longtemps.
Un appel aux dons pour les victimes de la famine au Soudan du Sud a été diffusé à la même période à l'initiative de l'asbl SOS World, une structure très peu connue jusqu'il y a peu.
Urgences: presque toutes les ONG, petites ou grandes, méritent notre confiance
Les grandes ONG belges dont on connait l'engagement fréquent dans des contextes d’aide humanitaire en urgence ne sont que rarement mises en cause pour la qualité de leur travail ou un éventuel manque de transparence financière.
Concernant les plus petites associations, le CNCD-11.11.11 et son équivalent néerlandophone Koepel van de Noord-Zuid Beweging ont maintes fois rappelé que leur taille plus modeste ne les empêche pas d’intervenir efficacement en situation d'urgence, surtout si elles sont déjà actives dans la région frappée par une catastrophe humanitaire.
Votre don à SOS World sera-t-il utilisé de manière optimale ?
Conseillerait-on pour autant à nos concitoyens de répondre à l’appel à la générosité de la jeune asbl SOS World, intitulé 'La faim frappe le Soudan du Sud' ?
Cet appel a été diffusé en mars dernier par encartage dans 'La Libre Belgique' et un quotidien néerlandophone, puis dans l'heddomadaire 'Dimanche'.
Au crédit de l’asbl SOS World, on notera volontiers que
- l’association a été fondée par un théologien allemand réputé, dont il serait malvenu de mettre en doute l’engagement désintéressé;
- le site de SOS World rappelle que l’organisation est active depuis déjà cinq ans au Soudan du Sud, où l’association aurait fait parvenir de nombreux avions chargés de colis humanitaires.
Mais le donateur qui, tel l’auteur de ces lignes, s’efforce d’obtenir davantage d’informations sur l’asbl SOS World, ne manquera pas de se sentir dubitatif au vu des constats suivants:
- La ligne téléphonique de l'asbl aboutit à un répondeur qui ne donne guère suite aux messages.
Nos demandes d'information, notamment par email, n'ont donné lieu à une réponse que le 28 avril dernier, soit quatre mois plus tard. - Le site de l'asbl SOS World ne publie ni Rapport d'Activités ni Rapport financier.
- Le Moniteur belge indique que l'asbl a été fondée en décembre 2014 et que son Conseil d'Administration se compose de trois membres d'une même famille qui résident tous en Allemagne.
SOS World annonce être actif depuis cinq ans au Soudan du Sud alors que l'asbl n'existait pas il y a trois ans. Cette contradiction ne serait qu'apparente si l'asbl belge reconnaissait clairement être adossée à un autre opérateur associatif qui opère depuis plus longtemps en Afrique.
Ce n'est que dans le courrier tardif que le fondateur de l'asbl SOS World nous a transmis qu'il apparait que l'association belge ne dispose pas d'équipes en Afrique: elle transfère en réalité ses recettes à une organisation allemande dénommée Gebende Hände, qui est également dirigée par le fondateur de la structure belge.
Cet arrangement, qui n'est en soi pas répréhensible, n'est guère signalé sur le site de l'association ou dans ses mailings. - La DZI (Deutschen Zentralinstitut für soziale Fragen), autorité allemande régulatrice en matière de collecte de fonds, ne liste pas l'association Gebende Hände parmi les membres de cette plateforme.
L'association Gebende Hände a par contre été clairement critiquée dans le passé, en Allemagne, pour l'usage de messages à tonalité misérabiliste.
C'est du moins ce qui ressort d'un interview accordé le 3 décembre 2013 par Burkhard Wilke, directeur de la DZI, à l'agence de presse de sensibilité évangélique Idea Pressedienst: 'Der Spenden-TÜV: Wem kann man vertrauen?' (article consultable en ligne).
Gebende Hände est également cité par le site allemand Charity Watch, ainsi que dans le livre 'Die Spendenmafia' ('La mafia des dons') de Stefan Loipfinger, un ouvrage polémique paru en 2011 dont nous ne connaissons pas le degré de crédibilité.
Le site de Gebende Hände comprend une description détaillée de différents labels dédiés à l'éthique de la collecte ('spendensiegel'). Il est précisé que l'association n'y souscrit pas du fait de leur coût. - Précisons que SOS World, qui ne bénéficie pas de la reconnaissance en matière d'attestations fiscales, n'est pas membre de l'AERF.
L'association ne publie pas ses comptes sur la plateforme Donorinfo et n'est pas membre du CNCD-11.11.11 ou de la 'Koepel van de Noord-Zuid Beweging'. - Concernant le bilan financier de l'asbl, les informations qui nous ont été transmises le 28 avril par le fondateur de SOS World ne sont guère rassurantes.
Monsieur Schirrmacher fait état d'une croissance très rapide de cette asbl, qui comptait déjà 14.000 nouveaux donateurs fin 2016, soit durant la deuxième année de prospection par l'intermédiaire de l'agence commerciale DSC.
Les comptes 2016 font apparaître une recette de 100.340 €, dont un solde de 31.220 € qui pourra être affecté aux projet humanitaire de l'association.
La jeune asbl SOS World enregistre donc 68% de frais administratifs et de collecte de fonds durant sa deuxième année d'activités.
Or on sait qu'une association active en levée de fonds se doit d'affecter, sur une période de trois ans, au minimum les deux tiers des recettes issues de la générosité publique à son objet social.
On est en droit de se demander, au vu des résultats financiers de la deuxième année, comment SOS World pourrait présenter fin 2017 un ratio de frais de collecte de fonds de maximum 30% sur ses trois premières années de fonctionnement.
Direct Social Communication, spécialiste du lancement clé-sur-porte de nouveaux acteurs de la collecte
A l'évidence, de même que dans le cas du lancement récent sur le marché belge de l'asbl Noma, voici à nouveau une asbl de droit belge qui établit son siège social à l'adresse de l'agence commerciale Direct Social Communications (DSC), alors que tous les membres du C.A. résident en Allemagne.
L'agence commerciale DSC gère dans les deux cas, en full-service, l’intégralité des opérations de collecte de fonds.
-> Lire 'Privatisation des campagnes de collecte de fond : danger ?'
L'agence Direct Social Communications semble ainsi renforcer son offre de service en matière de lancement 'clé-sur-porte', sur le marché belge, d'associations totalement contrôlées depuis l'étranger par des administrateurs qui n'ont quasi aucun lien avec notre pays.
Risques accrus de sur-sollicitation
Pareille gestion intégrale, en sous-traitance, des opérations de collecte de fonds est fréquemment source de problèmes.
D'autres articles publiés sur ce site ont ainsi souligné plus d'une fois que la société DSC s’arroge souvent le droit, sur base d’un article figurant en petits caractères à la fin de l’appel au don, d’exploiter elle-même les adresses des donateurs nouvellement recrutés pour le compte de l'association.
C'est le cas de l'appel aux dons de SOS World encarté dans La Libre Belgique, qui se termine par la mention suivante, en petits caractères:
"Nous enregistrons les données des personnes qui nous soutiennent dans un fichier cogéré avec DSC (...) également responsable de cette cette opération. Sauf objection de votre part, ces données peuvent également être utilisées pour d'autres actions humanitaires".
On sait que cette clause contribue à amplifier le phénomène de sur-sollicitation de nombreux donateurs, fort irrités de recevoir un nombre croissant de sollicitations.
Appels d'urgence: finalité humanitaire et intérêts commerciaux entremêlés
Du fait que cette clause très particulière permet à l'agence commerciale d'exploiter elle-même les coordonnées des donateurs nouvellement recrutés, celle-ci a intérêt, dans le cas d'une crise humanitaire, à devancer les autres ONG en diffusant au plus vite l’appel au don de son association cliente: pareille prospection 'express' en période de crise humanitaire permet à l'agence de devenir co-propriétaire de nombreuses nouvelles adresses de donateurs, qui seront ensuite sollicités dans le cadre d'appels pour d'autres associations.
Mais il arrive que pareille opération de prospection en urgence, par encartage dans divers quotidiens, ne produise qu'un petit nombre de dons, notamment parce que l'association est peu connue. Celle-ci devra néanmoins supporter tous les coûts de cette prospection qui n'aura généré qu'un faible pourcentage de recettes susceptibles d'être affectées à l'aide directe en faveur des victimes.
Oui, grandes ou petites, les ONG méritent presque toutes notre confiance
Ces observations critiques concernant la récente et importante opération de prospection de SOS World ne concernent en aucun cas les pratiques bien plus éthiques et transparentes de nombreuses autres ONG actives en Belgique.
Les diverses famines qui frappent actuellement différentes régions d'Afrique doivent donc nous inciter à mobiliser sans crainte nos concitoyens à soutenir en confiance les ONG dont la compétence et la transparence financière ne peuvent être mises en cause.
On pense notamment aux associations membres du Consortium 12-12, ainsi qu'à Médecins sans Frontières et à la Croix-Rouge de Belgique.
On hésitera par contre à suggérer aux donateurs de confier leur contribution à une jeune association peu connue qui cumule des caractéristiques peu rassurantes:
- gestion erratique des contacts avec les donateurs (ligne téléphonique branchée sur un répondeur, etc)
- rapports d’activités et comptes annuels non-disponibles sur le site Internet ou sur demande adressée par un donateur
- pilotage de l'association 'à distance', par des administrateurs qui résident tous à l’étranger
- opérations de collecte de fonds intégralement gérées par une agence commerciale souvent critiquée pour certaines pratiques peu éthiques ou génératrices de pourcentages élevés de frais de collecte.
Il serait heureux que les administrateurs de l'asbl SOS World, dont nul ne souhaite mettre en doute la bonne volonté, prennent conscience de ce que les coûteuses campagnes de prospection qu'ils financent en Belgique dans un contexte de frais de gestion et de collecte de fonds particulièrement élevés, risquent d'affaiblir le climat de confiance qui prévaut actuellement entre les acteurs belges de la collecte et leurs donateurs.
-> Autres articles consacrés aux pratiques commerciales de l'agence Direct Social Communications (lien)
-> Autres articles consacrés à la thématique 'Ethique et transparence' (lien)
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Etude KU Leuven - Ethique de la collecte: la parole au donateur
La vision du donateur belge sur l’éthique dans les récoltes de fonds
27 novembre 2016 - L’AERF a chargé une équipe de chercheurs de la KU Leuven (Professeur Tine Faseur et Professeur Tine De Bock) de réaliser une enquête qualitative consacrée au ressenti des donateurs par rapport à diverses pratiques de récolte de fonds.
Les principales conclusions de la recherche furent présentées le 24 novembre dernier à Bruxelles, lors du Congrès de l’AERF.
L'Association pour une Ethique dans la Récolte de Fonds célèbre cette année son 20ième anniversaire.
Les chercheurs de la KU Leuven ont regroupé les constatations tirées d'une série de dix-huit interviews réalisés auprès de donateurs - six francophones et douze néerlandophones - qui soutiennent une association depuis au moins trois ans.
Le protocole de questionnaire utilisé pour ces interviews avait tout d'abord été testé dans le cadre de trois ‘focus groups’ (2 NL, 1 FR).
Les réponses ont été regroupées autour de plusieurs concepts-clés qui semblent guider le donateur dans son appréciation du degré d’éthique des organisations actives en collecte de fonds: liberté de choix, dignité, authenticité, relation de longue durée, ciblage (choix des objectifs), équilibre.
Nous reprenons ci-dessous, pour chaque concept-clé, divers commentaires et exemples extraits de l'étude (traduction française provisoire) ou cités par le professeur Tine Faseur au cours de son exposé.
1 - Liberté de choix
Le donateur juge que sa liberté de choix doit être préservée.
Ainsi n'est-il par exemple guère acceptable que l’association utilise des méthodes de persuasion qui relèvent du ‘hard selling’, en sorte que le donateur soit fortement mis sous pression et ne se sente plus réellement libre de donner ou non.
De même, la liberté de choix du donateur n’est guère préservée si l'appel au don vise à lui donner l'impression qu'il est personnellement responsable de la situation dramatique de la victime.
Le recours aux techniques manipulatoires exagérément « pushy », telle l’utilisation répétée du nom du donateur tout au long du message qui lui est adressé, doit donc être récusé.
2 - Dignité
Les atteintes à la dignité du donateur sont inacceptables.
Le donateur n’aime pas avoir l’impression qu’il est un produit à vendre, avant d’être un être humain.
Sa dignité n’est pas respectée si l’association le traite comme un numéro parmi tant d’autres, par exemple s’il ne reçoit guère de remerciement.
Il n’est pas moins tolérable que le message adressé au donateurs ait pour effet de mettre en cause la dignité des bénéficiaires.
3 - Authenticité
Il importe qu’au travers de leurs activités de collecte de fonds les organisations paraissent fiables, crédibles et sincères. D'autant que c'est souvent la tonalité réellement authentique du message adressé au donateur qui l'incitera à donner.
Un message d'appel au don ne peut donc se contenter d'énumérer une série d'arguments simplistes, présentés sans nuance.
De même, le principe d’authenticité n’est pas davantage respecté dans le cadre des campagnes de recrutement de donateurs sur la voie publique (face to face), si le donateur est interpellé par un recruteur qui ne semble guère avoir intériorisé les valeurs de l’association qu'il représente.
Il est également question d'un manque d'authenticité lorsqu'une opération de collecte de fonds mise en oeuvre dans le cadre d'un show télévisé privilégie démesurément la dimension ‘show’.
4 - Relation de longue durée
Les activités en récolte de fonds doivent contribuer à favoriser l’établissement de relations durables, empreintes de confiance, entre les associations et leurs donateurs.
C’est pourquoi l’envoi fréquent de messages qui visent principalement à susciter un don impulsif, n’est pas acceptable.
C’est le cas de certains mailings qui privilégient le recours à des images cruelles ou choquantes, destinées à susciter un sentiment de profond malaise que le donateur est ensuite tenté d’évacuer en effectuant un don.
5 - Ciblage (choix des objectifs)
Le donateur souhaite se voir proposer des objectifs réalistes, car ils lui permettront de vraiment participer à un réel changement.
Il préfère souvent que l’association l'invite à s’engager dans une action à long terme, qui privilégie une approche structurelle des problèmes.
Il importe par ailleurs que les objectifs proposés par l'association paraissent crédibles: il ne faudrait pas que le donateur ait le sentiment que l’association serait plus efficace si elle travaillait différemment.
6 - Equilibre
Le donateur recherche une position de sécurité et d’équilibre qui lui permet d’avoir le sentiment de contrôler sa vie. Cet équilibre s’atteint notamment au travers des différents choix qu’il est amené à faire, au niveau du ou des associations qu’il soutiendra, de la fréquence de ses dons, etc.
Il n'est guère acceptable que certaines pratiques en récolte de fonds cherchent délibérément à le faire sortir de cette zone de confort.
Ainsi, le recours trop fréquent à des messages relativement agressifs ainsi qu'à des images choquantes visent à déstabiliser le donateur, et donc à rompre cet équilibre.
De même, le donateur éprouvera un sentiment de malaise si - du fait d'un non-respect par l'association des règles en usage en matière de protection de la vie privée - il a l'impression de ne plus pouvoir maîtriser l'usage qui est fait de ses données personnelles.
Conclusions
Les auteurs de la recherche ont bien évidemment constaté une hétérogénéité des réponses émanant des dix-huit donateurs interrogés.
Le rapport final de l’étude - dont la version officielle n'est disponible qu'en néerlandais - présente une analyse nettement plus nuancée des différents concepts-clés sommairement présentés dans cet article.
Il indique, pour chaque concept-clé, comment l'organisation concrète des activités en collecte de fonds peut impacter positivement ou négativement le degré de confiance du donateur vis-à-vis des associations qu’il soutient.
Exemples:
- Contenu du message: est-il plus ou moins informatif, ou agressif, etc. ?
- Canaux de contact (mailing, démarchage dans la rue, etc):
Certaines formes de recrutement sur la voie publique, en rue ou en ‘door-to-door’, peuvent présenter des risques de démarchage trop persuasif, ou intrusif.
Mais l'approche directe en rue ou en porte-à-porte peut à l’inverse permettre une meilleure interaction, facilitant de la sorte une relation de longue durée. - Gestion du fichier d’adresse des donateurs:
Questions relatives à la vente ou l'échange de fichiers de donateurs: contraires à l’éthique relative à la protection de la vie privée, etc. ? - Rémunération des fundraisers:
Risques liés aux modes de rémunération sur base de commissions (notamment en recrutement sur la voie publique), etc. - Utilisation des fonds collectés:
Manque de transparence, dépenses démesurées en frais administratifs et de collecte de fonds, affectation des dons à autre-chose que ce qui est annoncé.
L’audit et la certification des comptes sont importants. - Droit à l’information:
La transparence est au coeur du concept d’authenticité.
Sources:
- KU Leuven – 'Etude de la vision du donateur belge sur l’éthique dans les récoltes de fonds'
'Onderzoek naar de visie van Belgische schenkers over ethiek in de fondsenwerving'
Professeurs Tine Faseur & Tine De Bock - KU Leuven - Campus Brussel
Recherche réalisée à l’initiative de l'AERF - Novembre 2016 - Site de l'AERF
-> Autre article concernant le Congrès de l'AERF (26-11-2016): 'Qui sera le syndicaliste de nos donateurs ?'
-> Liste des articles répertoriés sous Archives 2013-2016 - Ethique & Transparence
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Alexander De Croo dénonce le harcèlement subi par certains donateurs
Un couple solidaire et engagé, qui préfère désormais ne plus donner
23 novembre 2016 - La commune de Zolder compte nombre de citoyens engagés, au nombre desquels Theo Rayen et son épouse, qui soutiennent une initiative locale - l’asbl Schilderswijk - ainsi qu’un micro-projet de coopération au développement.
Sur proposition de son épouse, le couple décide de verser un premier don au profit d'une importante association néerlandophone active dans le domaine des maladies, qui collecte un peu plus d'1,5 million d'euros par an, presqu'exclusivement au travers de mailings (650.000 € en frais de mailings, hors appointements).
Et voici qu’à leur grand étonnement, à l'évidence suite à ce premier don, leur boite aux lettres se trouve bientôt envahie d’un nombre croissant d’appels aux dons émanant de diverses autres associations.
Theo Rayen et son épouse s’étonnent en outre de constater que plusieurs de ces messages sont accompagnés de divers gadgets offerts au titre de cadeaux. Ils se demandent dès lors si ces associations se préoccupent réellement d’affecter au maximum les contributions de leurs donateurs aux projets de terrain, plutôt qu’à des dépenses excessives en collecte de fonds.
Theo est d'ailleurs d’avis que l’association à laquelle le couple a confié un premier don "se tire une balle dans le pied" en acceptant que les adresses de ses nouveaux donateurs soient aussitôt exploitées par d’autres associations.
Il sera mis fin à l’envoi des nombreux appels au don après que Monsieur Rayen ait pris contact avec les différentes associations concernées, et surtout avec l’agence commerciale DSC (Direct Social Communication) à laquelle ces différentes associations ont sous-traité tout ou partie de leur collecte de fonds.
Précisons ici que d’étranges dispositions contractuelles, que la société DSC parvient à imposer à la quasi-totalité des associations qui font appel à ses services, lui permettent d’exploiter de manière répétée les adresses de ces nouveaux donateurs que ces associations ont pourtant prospectés à leurs frais.
Commentaire sévère d’Alexander De Croo, Ministre de la Coopération
Theo Rayen a profité d’une tribune que l’hebdomadaire Knack (n°47, 23-29 novembre 2016) consacre au thème de la solidarité internationale pour interpeller Alexander De Croo, Ministre de la Coopération au Développement.
Résumant les péripéties décrites ci-dessus, il s’interroge : « Nos données personnelles peuvent-elles ainsi être vendues ou transmises à des tiers ? »
La réponse du Ministre se veut nette et dépourvue d’ambiguïté : « Je désapprouve bien entendu cette pratique, qui est condamnable autant que contre-productive. Si quelqu’un soutient une association, cette personne doit savoir à quoi s’en tenir. Pour que des données puissent être transmises à des tiers, il faut que l’association en ait reçu l'autorisation de manière explicite, et non sous forme d’un consentement stipulé quelque-part dans les ‘conditions générales’.
Je verrai avec Philippe De Backer, secrétaire d’Etat compétent pour les questions relatives à la protection de la vie privée, comment solutionner ce problème. "
Pressions abusives en matière de mailings: l'expérience britannique
L’interpellation du couple Rayen amène ainsi le Ministre De Croo à soulever l’opportunité, pour les associations opérant en Belgique, d’une règlementation plus stricte concernant l’utilisation des données personnelles des donateurs.
L'utilisation abusive de listings de donateurs actifs a également souvent été dénoncée au Royaume Uni, où ces pratiques ont alimenté nombre d'articles critiques dans divers médias.
-> Lire 'Royaume-Uni: contestation des techniques de collecte trop intrusives'
Les autorités britanniques ont dès lors envisagé d'imposer diverses mesures particulièrement restrictives concernant les opérations de collecte de fonds au travers de mailing ou de campagnes d'appels téléphoniques.
Les associations britanniques ont cru un moment - avant le vote du Brexit ... - que la nouvelle directive de l'Union Européenne en matière de protection de la vie privée imposerait de fortes contraintes, dans le cadre d'une généralisation du principe de l'"opt-in" (lire).
La directive européenne se contente en réalité d'indiquer que les opérations de télé-contact et de mailings devront respecter l’option « opt-out » - que tout citoyen de l'UE sera à tout moment en droit d'activer. Il n'est pas prévu d'exiger le consentement préalable du consommateur - le cas échéant 'doinateur' - sous forme d’ « opt-in ».
Royaume-Uni:
l'option "opt-in" privilégiée par la RNLI pourrait lui faire perdre 42,8 millions d'euros
Certaines associations choisissent de se fixer des règles particulièrement exigentes, qui visent à réduire au maximum tout risque d'irritation de donateurs susceptibles d'être lassés par un envoi excessif de messages.
C'est ainsi que la forte médiatisation de certains abus a amené la RNLI - la Lifeboat Association compte parmi les principaux acteurs de la collecte au Royaume-Uni - à instaurer systématiquement une procédure de type « opt-in » destinée à réguler la communication auprès de ses propres donateurs.
Cette mesure particulièrement stricte exclut non seulement toute cession d'adresse de donateurs au profit d'organisations tierces, mais régule également - dans le respect du choix formulé par chaque donateur - la fréquence des messages que l'association lui enverra.
Plusieurs médias britanniques, au nombres desquels The Guardian (lien), ont salué le choix jugé courageux de cette association.
Car en privilégiant le plein respect des préférences de ses sympathisants, l'équipe dirigeante de la RNLI est consciente de ce que cette mesure extrème provoquera probablement une diminution des contributions de ses donateurs à hauteur d'un total de £ 35,6 millions (soit 42,8 millions d’euros) répartis sur les cinq prochaines années.
Pour plus d’infos:
- Hebdomadaire KNACK, n°47 (23-29/11/2016), p.27
- Fundraising Week: 'Opt-in-only systems will not be compulsory' (lien)
- The Guardian: 'Treating our charity's supporters well will cost us £35m, but they are worth it' (lien)
-> Autres articles consacrés aux pratiques commerciales de l'agence Direct Social Communications (lien)
-> Autres articles consacrés à la thématique 'Ethique et transparence' (lien)
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Transparence des comptes associatifs: amélioration en vue ?
Trois structures - Donorinfo, AERF (Association pour une Ethique dans le collecte de fonds) et ACODEV (Livre Ouvert) - contribuent à renforcer la transparence des organisations actives en levée de fonds.
Les plus grands acteurs de la collecte ne cependant pas pour autant toutes exemplaires en matière de transparence.
Privatisation des campagnes de collecte de fond : danger ?
Négliger l'éthique, pour plus d'efficacité dans la collecte ?
25 Mai 2015 - Est-ce à raison que la plupart des associations belges s’imposent des balises sévères en matière de pourcentage de frais de collecte, et récusent le recours fréquent à des appels de fonds à tonalité misérabiliste ?
Certaines campagnes de prospection de donateurs s'embarrassent fort peu de pareilles considérations d'ordre éthique. Leurs techniques de collecte privilégient davantage une optimisation immédiate des recettes (résultat net), souvent associée à un pourcentage très élevé de frais de collecte.
Tel est du moins le constat que font certains au vu du succès de coûteuses campagnes de prospection réalisées à l‘initiative d’associations - tel Mercy Ships Belgium ou Child Help - qui ont d'ailleurs choisi de ne pas souscrire au code de conduite éthique mis en place par l’A.E.R.F. (Association pour une Ethique dans les Récoltes de Fonds).
Mercy Ships
C’est ainsi que Mercy Ships Belgium, association fondée en décembre 2009, comptait quatre ans plus tard 20.000 donateurs mobilisés sur base de fréquents appels aux dons, souvent rédigés à partir de témoignages et de visuels à tonalité tragique.
La collecte de fonds de Mercy Ships s’élevait déjà à 1,5 millions de dons par an en 2013, sans que ce montant ait été gonflé par l'apport d'un legs exceptionnel.
L’association sous-traite ses opérations de prospection auprès de la société DSC (Direct Social Communications).
Lire : 'Ethique de la collecte : témoignage de Direct Social Communications'
Quelques années plus tôt, l'association 'Christian Blind Mission' (CBM) devenue depuis lors 'Lumière pour le Monde' avait également connu plusieurs années de progression foudroyante de sa collecte de fonds sur le marché belge, également sur base d'appels de fonds récurrents.
Les mailings de 'Lumière pour le monde' sont réalisés en interne, et proposent le plus souvent au donateur de contribuer à rendre la vue à un enfant atteint de cécité.
Campagne de Noma: ‘Rendez leur sourire à ces petits visages défigurés.’
Et voici que depuis début 2015 l’asbl Noma, nouvel acteur sur le marché belge de la collecte, sollicite à son tour nos concitoyens, dont notamment les lecteurs de La Libre Belgique et de l’hebdomadaire Dimanche, sur base d’un appel aux dons truffé de visuels particulièrement durs (confer visuels 'Sarai Ali' et 'Malia Amadou'), que d’aucuns auront probablement jugé inappropriés.
De création toute récente, dirigée par trois administrateurs qui résident tous en Allemagne, l’association belge Noma a établi son siège social à Bruxelles, à l’adresse de la société commerciale DSC.
Madame Ute Winkler-Stumpf, présidente du Conseil d'administration, nous confirme depuis Berlin que l’asbl qu’elle dirige ainsi à distance a chargé la société DSC de gérer toutes les opérations de prospection ainsi que de gestion des donateurs.
Elle reconnait que l’association belge ne compte guère de membre ou réseau de bénévoles en Belgique au moment (avril/mai 2015) où les premiers mailings massifs de recrutement de donateurs sont lancés.
Il apparait que Madame Ute Winkler-Stumpf dirige par ailleurs l’association allemande Hilfsaktion Noma e.V., qui investit quelque 2 millions d’euros par an dans des campagnes de sensibilisation et des projets, notamment médicaux, en matière de lutte contre le noma.
Hilfsaktion Noma e.V. est affilié à la Fédération internationale Noma, qui regroupe une trentaine d’organisations membres. On précisera volontiers que nul ne conteste le bien-fondé des projets que ces associations mettent en œuvre dans les pays du Sud.
Le réseau international INFA:
montée en puissance des réseaux internationaux d'agences de fundraising
Le mode de lancement de l’asbl Noma, dont l’installation sur le marché belge est donc intégralement pilotée par la société DSC, illustre l’influence discrète mais non moins déterminante des agences privées de fundraising sur le marché de la générosité publique.
Ces opérateurs commerciaux proposent des formules de type ‘full service’ qui permettent de leur sous-traiter entièrement la collecte de fonds. Mais il est également possible pour une association active dans un pays A de sous-traiter intégralement son expansion dans un pays B en faisant appel aux services d'une agence commerciale spécialisée en collecte de fonds. L'agence commerciale veillera à ce qu'une entité juridique sans but lucratif soit créée dans le pays B, dont elle gèrera en réalité elle-même la collecte de fonds.
L’association Hilfsaktion Noma e.V. collabore avec la société Marketwing GmbH dans le cadre du recrutement de ses donateurs sur le marché allemand. Cette agence allemande de fundraising fait partie de l’International Network for Fundraising Agencies (INFA Network), un important réseau international d’agences commerciales dont est également membre l’agence de fundraising DSC, qui opère depuis Bruxelles. Bien que de taille relativement modeste, Hilfsaktion Noma e.V. a eu ainsi l'opportunité de développer un ambitieux projet de prospection de donateurs sur le marché belge en signant un accord de sous-traitance avec l'opérateur commercial DSC.
On reconnaitra volontiers que les agences commerciales de fundraising regroupées au sein de l’INFA Network proposent diverses prestations efficaces et nullement critiquables. Mais leur force de frappe ne manque pas d’étonner, dès lors qu’elles semblent en mesure de procéder pratiquement ex nihilo, comme dans le cas de la jeune asbl Noma, à la création d’associations dont la société commerciale pilote intégralement l’expansion, sur base de fréquents mailings de prospection, souvent à tonalité misérabiliste.
Les agences commerciales, principaux vecteurs de messages 'poverty-porn' ?
On remarque que ces 'fundraising agencies' apprécient particulièrement de pouvoir travailler pour des causes liées à des souffrances physiques qui peuvent être associées à des visuels susceptibles de bouleverser le donateur: lèpre, noma, enfants atteints de cécité, de spina bifida ou d'hydrocéphalie, autres maladies et handicaps physiques nécessitant des interventions chirurgicales impressionnantes.
Ce recours assez fréquent à des témoignages poignants et à des visuels plus ou moins dégradants met presque toujours en scène des personnes déshéritées de l’hémisphère Sud.
Car il est bien évident que l’opinion publique ne supporterait guère que des patients en traitement dans un établissement de soins situé en Belgique soient photographiés et décrits de manière aussi misérabiliste.
La fréquence accrue des appels aux dons à tonalité misérabiliste confirme pour certains la montée en puissance, dans différents pays européens, d'agences commerciales qui préconisent le recours assez systématique aux techniques de prospection agressives propres au charity-business.
Mais la Belgique n'est pas le seul pays dont les donateurs s'étonnent de recevoir parfois des appels aux dons manifestement conçus en vue de choquer et d’exacerber leur culpabilité. Ces pratiques sont d'ailleurs régulièrement dénoncées dans les médias de divers pays anglophones, où on leur attribue volontiers le qualificatif 'poverty-porn.'
-> Lire: 'Emotive charity advertising – has the public had enough?' (article paru dans The Guardian - 29/09/2014)
Privatisation accrue de la collecte, moindre vigilance du secteur associatif
Un nombre croissant d’associations de taille modeste semblent tentées de sous-traiter complètement leur collecte de fonds.
L'influence de l’agence commerciale en charge du fundraising s’avère dans ce cas de plus en plus souvent décisive, tant dans le choix de la tonalité des messages adressés aux donateurs que dans la fixation du pourcentage maximum des frais de collecte.
D’aucuns croient percevoir un relatif affaiblissement de la fonction de contrôle qui devrait être assumée par les organes décisionnels des associations concernées : Assemblée générale, conseil d’administration.
On s’étonne par exemple d’un évident manque de vigilance et de réactivité dans le cas d'appels de fonds dont la tonalité ne semble pas respecter la dignité, ou ne fut-ce que le ‘droit à l'image’ des bénéficiaires.
L'exemple de l'asbl Noma soulève par ailleurs la question du contrôle associatif relativement aléatoire dans le cas d’une asbl belge uniquement gérée par des administrateurs (allemands) résidant en Allemagne.
Car comment s’assurer que des administrateurs résidant tous à l’étranger exercent un contrôle vigilant sur des opérations de levée de fonds gérées par un sous-traitant commercial qui pourrait être tenté, comme c’est parfois le cas, de produire de fréquents mailings à tonalité misérabiliste, ou de recycler un pourcentage élevé des recettes issues des dons dans de nouvelles opérations de prospection ?
Transparence financière
Les associations qui investissent assez massivement dans des mailings de prospection auraient probablement intérêt à publier des résultats financiers clairs et transparents, en précisant notamment le pourcentage des recettes issues des dons qu'elles affectent d'une part à l'objet social décrit dans leurs appels de fonds, et d'autre part aux divers frais de structure, de communication et de collecte de fonds.
L'association Child Help, dont les comptes 2013 ont le mérite d'être publiés sur le site de l'association, déclare 609.359 € en recettes et 601.302 € en dépenses, montant dont 37% était affecté à des projets mis en oeuvre dans les pays du Sud.
88% des recettes, soit 537.171 €, proviennent de donateurs mobilisés via l'agence commerciale DSC, à côté d'un apport complémentaire de donateurs propres à hauteur de 47.225 €
Les dépenses en matière de communication et de récolte de fonds comprennent notamment les frais de prospection de DSC (361.648 €), les honoraires DSC (48.525 €) et le poste 'Sensibilisation de nos propres donateurs' (159.581 €), soit un montant total de 569.754 €.
On précisera cependant que les comptes mentionnent par ailleurs, au niveau des charges, un montant négatif de - 269.994 € ('Revenus du recrutement de nouveaux donateurs'), en sorte qu'on a au final quelque peine à calculer avec précision le pourcentage total des frais de collecte de cette association.
Le secteur associatif belge gagnerait-il à marquer plus clairement ses distances par rapport aux campagnes d’appel aux dons inutilement agressives, produites par certaines agences commerciales ?
N'y a-t-il lieu de craindre que la multiplication de mailings de type ‘charity-porn’, ainsi que le coût élevé de ces opérations de prospection, suscitent lassitude et irritation auprès des donateurs, dont la confiance vis-à-vis des acteurs de la collecte risque d’être gravement entamée ?
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