Urgence Turquie-Syrie : prospection massive à l'initiative d'une association peu connue
Gestion de la collecte en ‘full-service’ : d’incontestables avantages
22/03/2023 - Partout en Europe diverses agences commerciales de fundraising offrent aux acteurs du secteur non-marchand de gérer en sous-traitance soit l’ensemble (option ‘full service’) soit une partie conséquente de leurs tâches de communication et de collecte de fonds.
En Belgique la société Direct Social Communication (DSC) figure parmi les principaux acteurs présents sur ce créneau, aux côtés de Mindwize, une agence présente dans cinq pays européens, dont les Pays-Bas.
La formule ‘full-service’ permet par exemple au fondateur d’une nouvelle initiative à finalité humanitaire de se concentrer en priorité sur les projets de terrain qu’il affectionne, après s’être libéré de la collecte de fonds dont la gestion est assurée de manière professionnelle par une agence commerciale de fundraising.
Tel est par exemple le choix du docteur Réginald Moreels, ex-Président de MSF et vaillant septuagénaire mobilisé sur les projets de santé de l’asbl UNICHIR dont il est co-fondateur, qui collabore étroitement avec l’agence DSC pour la gestion d'une partie des activités de fundraising.
SOS World, étrange réussite sur base d'une sous-traitance intégrale de la collecte de fonds
Il arrive cependant que la sous-traitance intégrale de la collecte de fonds pose question.
Ainsi deux articles parus mi-février dans le Belang van Limburg et L’Avenir ont-ils tenté de comprendre pourquoi et comment SOS World - une asbl qui n'existe qu'en Belgique, où elle est relativement peu connue - s'est massivement investie il y a quelques semaines dans une importante et coûteuse campagne d'appels aux dons 'Turquie-Syrie'.
Cette enquête fait apparaître que la collecte de SOS World a bénéficié d’une croissance fulgurante depuis sa création en 2014. Alors que l'association ne dispose guère, en dehors d’une boite aux lettres, d’un ancrage significatif dans la vie associative belge, elle aurait recruté 24.000 donateurs en moins de dix ans, grâce aux nombreux mailings orchestrés par l’agence commerciale Direct Social Communication.
Faible degré de transparence
Surpris par l’ampleur de la campagne d’appels aux dons ‘Turquie-Syrie’ financée par SOS World au travers de mailings et d’encartages dans divers quotidiens du Nord du pays, le journaliste du Belang van Limburg découvre que cette asbl de droit belge a été fondée par Thomas Schirrmacher, un théologien et évêque allemand lié à l’Eglise Evangélique, ainsi que par deux membres de sa famille qui résident comme lui en Allemagne.
Le premier siège social de l’association a été établi en 2014 à Bruxelles dans les bureaux de l’agence de fundraising DSC.
Le site de SOS World ne comprend, au moment de l’enquête du Belang van Limburg, nulle information concrète concernant le mode de gouvernance, les rapports d’activités et les comptes annuels de l’association. L’agrément fiscal de SOS World n’a pas été accordé ou n'est pas prolongé, et SOS World n’est pas reconnu par l’AERF ou par la Fondation Donorinfo pour la transparence de ses comptes.
Gebende Hände : une association proche dont certaines pratiques sont critiquées
L’article du Belang van Limburg note qu’un autre membre de la famille Schirrmacher est impliqué dans la gestion de l’association allemande Gebende Hände. Le site allemand Webwiki.de, dont le degré de crédibilité n'a pu être vérifié, s'est fait l’écho de plaintes émanant de donateurs allemands concernant des méthodes de collecte de fonds inappropriées de cette association : utilisation abusive d’adresses personnelles, envoi de mailing accompagnés de gadgets inutiles, etc.
On sait que ces pratiques sont contestées en Allemagne où elles sont encouragées par certaines agences de fundraising. Elles correspondent à des modes de collecte qui ont été également dénoncés à plusieurs reprises dans divers médias belges.
Egalement alertée par l’ampleur de la récente campagne d’encartage ‘SOS Turquie-Syrie’ de SOS World dans nombre de quotidiens francophones, une journaliste de L’Avenir s’est à son tour demandée « qui sont ces collecteurs de fonds qui interviennent au nom d’une cause humanitaire, avec une force de frappe impressionnante malgré leur petite taille ? » (L’Avenir, 24 février)
Elle constate également le peu d’informations publiées sur le site de l’association.
Une asbl ‘boîte aux lettres’, pilotée depuis l'étranger par des administrateurs animés de bonnes intentions
SOS World ne semble guère disposer en Belgique d’un semblant d'équipe locale mobilisée soit au siège social bruxellois de SOS World - qui ne comprend qu’une boite aux lettres - soit ailleurs dans le pays.
La ligne téléphonique de l’association est connectée à un répondeur de l’agence commerciale DSC.
L’asbl serait pour l'essentiel une structure juridique vide, contrôlée à distance par une famille allemande résidant aux environs de Bonn. Il est probable que cette famille aura appris en 2014 qu'une agence de fundraising établie à Bruxelles pourrait lui construire une stratégie de collecte de fonds sur le territoire belge. Neuf ans plus tard nul enracinement significatif de SOS World dans la vie associative belge, en dehors des activités performantes de collecte de fonds gérées par Direct Social Communication (DSC).
Ludo Longin, CEO de l’agence DSC, se veut rassurant quant aux nobles intentions des fondateurs de SOS World, et quant à la bonne affectation des dons reçus par l’association. La recette nette de la collecte serait directement versée en faveur d’initiatives locales identifiées, par exemple en Turquie et en Syrie, par les Eglises Evangéliques allemandes. Cette aide n'aurait aucun lien avec l'activité de Gebende Hände.
Six semaines après le séisme du 6 février le site de SOS World ne publiait aucune information concernant l'assistance concrète qu'elle aurait déjà déployée en Turquie ou en Syrie.
La direction de DSC indiquait récemment que l'association s'est engagée à améliorer la qualité de sa communication aux donateurs. Ceux-ci seront certainement heureux d'enfin en savoir plus concernant le pourcentage des dons collectés au cours des années précédentes que SOS World affecte directement à ses projets humanitaires de terrain.
Levée de fonds : des méthodes de collecte performantes, bien que susceptibles d’irriter les donateurs
Nulle autre ONG de solidarité Nord-Sud active en Belgique ne semble avoir bénéficié depuis 2014 d’une croissance de la collecte aussi performante que celle de SOS World.
La plupart de ces ONG hésiteraient cependant à recourir aux méthodes de collecte efficaces, autant que contestées, pratiquées par cette organisation :
- prospections ciblées sur des fichiers de donateurs loués à d’autres organisations (quid de la réglementation RGPD ?),
- fréquence élevé des mailings,
- messages de tonalité misérabiliste,
- envoi de courriers accompagnés de gadgets inutiles offerts au titre de cadeaux (visuel ci-contre).
D'autant que la pertinence d'une campagne intégralement gérée pas un sous-traitant commercial doit également s'évaluer sur base du pourcentage des frais de collecte. Une information essentielle que nombre d'organisations préfèrent ne pas communiquer.
Appels en urgence de nature opportuniste, car conçus dans une double finalité humanitaire et commerciale
L’instauration de la réglementation RGPD a quasiment aboli l'échange de fichiers de donateurs dans divers pays, tel le Royaume-Uni et les Pays-Bas. Cette pratique est par ailleurs rejetée par une grande majorité d’associations, notamment en Belgique.
Certaines agences commerciales de fundraising estiment cependant que le RGPD ne leur interdit pas de conserver une mainmise sur d’importants fichiers communs d’adresses de donateurs, même si ces derniers n'ont pas explicitement autorisé ('opt-in') la cession de leurs données personnelles à des tiers.
Elles se rémunèrent dès lors, comme d'autres list-brokers, en louant ces fichiers dans le cadre de campagnes de prospection.
D'aucuns se sont étonnés, lors la récente crise humanitaire 'Turquie-Syrie', de ce que plusieurs associations peu connues pour leur expertise en situation d'urgence humanitaire, et dont la collecte de fonds est gérée par la même agence commerciale de fundraising, ont immédiatement exploité l’opportunité de cette crise médiatisée pour procéder à d'importantes campagnes d’appels aux dons.
Il est vrai que pareille opération peut s’avérer triplement bénéfique, certainement au profit des victimes du désastre qui bénéficient ainsi d’un soutien renforcé, mais également pour l’association qui recrute de nouveaux sympathisants ainsi que pour l’agence commerciale qui enrichit ainsi discrètement et sans surcoût son précieux fichier commun de donateurs.
On ne manquera pas de constater que dans pareille opération finalité humanitaire et intérêts commerciaux s’en trouvent curieusement entremêlés.
Notons par ailleurs que certains donateurs nouvellement recrutés s'étonneront de recevoir par la suite des appels aux dons provenant pour partie d'associations auxquelles leurs coordonnées personnelles auront été discrètement transmises.
RGPD : à quand une meilleure prise en compte des intérêts légitimes des donateurs ?
Une majorité de donateurs apprécierait probablement que la Belgique adopte à son tour un dispositif comparable aux mesures en vigueur aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, où la cession de données personnelles nécessite l'accord préalable ('opt-in') des personnes concernées.
L’approbation par l'APD (Autorité de Protection des Données) d’un Code de Conduite RGPD spécifique au secteur de la collecte – une mesure préconisée depuis plusieurs années par l’AERF - pourrait y contribuer.
Bientôt d'autres organisations caritatives implantées à l'aide d'agences de fundraising ?
On n'a guère connu, en dehors de asbl SOS World et de Noma, d'autres acteurs de la collecte qui aient été été implantés récemment sur le territoire belge grâce au soutien décisif d'une agence locale de fundraising.
L'asbl Noma a été fondée comme SOS World en 2014, à l'initiative de la fondatrice de l'ONG allemande Hilfsaktion Noma e.V. Ce partenaire allemand figurait en 2016 dans la liste des organisations caritatives allemandes qui contrevenaient, selon la Deutsche Zentralinstitut für soziale Fragen (DZI), à d'importantes règles en matière de pratiques commerciales (visuel ci-dessus).
Difficile de prévoir dans quelle mesure d'autres associations pourraient à leur tour s'implanter en Belgique grâce au soutien d'une agence de fundraising.
On notera toutefois que par exemple le réseau international d'agences Mindwize valorise un peu partout en Europe, et notamment en Suède (confer visuel ci-contre 'Insamling i Belgien'), la capacité de ses équipes à implanter une association dans un pays européen où cette société dispose de bureaux régionaux (lien).
Le professionalisme des agences de fundraising est, à juste titre, fort apprécié par le secteur associatif.
Leur impact positif sur l'évolution globale du secteur de la générosité est largement reconnu.
Certaines pratiques posent toutefois question, notamment lorsque ces sociétés favorisent l'implantation artificielle - faute d'ancrage réel dans la vie associative belge - de nouveaux acteurs de la collecte importés depuis l'étranger.
-> Récapitulatif des articles relatifs aux risques de dérives en matière de méthodes de collecte de fonds :
'Direct Social Communications: des techniques de fundraising souvent critiquées'
Sources
site SOS World
- site Direct Social Communication
- Gebende Hände
- Het Belang van Limburg (18-02-2023) – ‘De Duitse wortels achter de nauwelijks bekende vzw SOS World’
- L’Avenir (24/02/2023) ‘Collecte de fonds : petits et fiables?
- Gebende Hände in Webwiki – ‘Erfahrungen und Bewertungen zu Gebende Hände’ (lien)
-> Autres articles consacrés aux pratiques commerciales de l'agence Direct Social Communications (lien)
-> Autres articles consacrés à la thématique 'Ethique et transparence' (lien)
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